Titre

Détresses respiratoires post-opératoires

Critères de reventilation et modalités d'assistance ventilatoire

Auteur

Docteur Sadek Beloucif

CHU d'Amiens, Hôpital Sud

La décision de reventiler un patient se fait sur des critères essentiellement cliniques.  Sa codification (ou la recherche de critères "objectifs") reste difficile et fait en définitive appel à l'expertise clinique et à "l'art" du médecin anesthésiste-réanimateur.  Lorsqu'il s'agit d'une indication proprement "ventilatoire" où le but est de réduire la charge en CO2, cette décision est de fait basée sur la conjonction d'un ensemble d'éléments qui font intervenir:

-          l'aspect clinique du patient (en considérant notamment l'existence d'un éventuel épuisement et ses conséquences sur l'état de conscience),

-          le pronostic (de la pathologie initialement causale mais aussi de la complication à l'origine de cette détresse respiratoire post-opératoire),

-          et enfin des prospectives possibles attendues de thérapeutiques annexes débutées ou prévues pour tenter d'éviter le recours à une intubation trachéale avec ventilation assistée (techniques pouvant aller depuis l'administration d'almitrine, le drainage d'épanchements aériques ou gazeux ou la levée d'une atélectasie, voire une ventilation non-invasive)…

Ainsi, l'intensité des désordres des échanges gazeux possiblement notés (avec en particulier le niveau de PaCO2) ne représentent pas en eux-mêmes une indication de la ventilation, encore que le niveau de PaCO2, pris comme la résultante entre la production de CO2 et son élimination, puisse guider l'intensité du support ventilatoire éventuellement nécessaire. 

 Devant une détresse respiratoire péri-opératoire, il est des cas où les indications de l'intubation avec ventilation assistée puissent être d'emblée assez largement consensuelles, que ce soit:

-         la nécessité d'une protection des voies aériennes supérieures comme dans le cas d'un traumatisme, de brûlures étendues ou d'un coma,

-         l'existence d'une hypoxémie sévère comme lors de la survenue d'une pneumopathie post-opératoire, d'un œdème pulmonaire cardiogénique ou lésionnel (SDRA),

-         la survenue d'une complication chirurgicale post-opératoires dont on peut prévoir que la correction soit longue ou difficile,

-         ou enfin à titre de "soulagement" d'un patient épuisé…

 

Là encore, sans rentrer dans une énumération à la mode d'un catalogue des différentes situations, on pourrait imaginer que les critères habituellement retenus pour le sevrage de la ventilation mécanique, puissent, selon un raisonnement "a contrario" représenter autant de situations dont la non-réalisation soient des éléments en faveur d'une reprise de la ventilation.  Cependant, ces critères, habituellement différenciés en critères généraux et respiratoires de sevrage de la ventilation mécanique et en critères d'extubation proprement dite restent difficiles à formaliser nettement en pratique.  Les critères de sevrage de la ventilation mécanique restent assez peu sensibles, que ce soit les critères dits généraux (comme l'existence d'un stabilité hémodynamique chez un patient calme, coopérant, aux fonctions supérieures quasi normales), que les critères proprement respiratoires (comme l'existence d'une PaO2 correcte pour une FiO2 inférieure à 0,5 —et un niveau de PEEP ≤ 6 cmH2O— avec PaCO2 inférieure à 45 chez un patient sans anomalies grossières de la radiographie pulmonaire). 

Tenter d'y surajouter les critères d'extubation proprement dits peut représenter une aide, mais dont la contribution reste malheureusement encore assez faible.  Les critères habituellement retenus pour une extubation (adéquation des échanges gazeux [PaO2 > 75 mmHg pour une FiO2 < 0,5 avec PaCO2 < 60 mmHg] pour une ventilation minute nécessaire < 150 ml/kg/min obtenue par un volume courant > 8ml/kg et une fréquence respiratoire < 20/min là encore chez un patient calme, coopérant, et neurologiquement intact) apparaissent difficilement traduisibles pour inciter ou non à reventiler un patient en ventilation spontanée... 

La difficulté demeure.  Autant on peut s'attendre à un sevrage difficile en cas de chirurgie compliquée ou prolongée, d'une complication hémodynamique comme un infarctus du myocarde, une dysfonction ventriculaire gauche péri-opératoire, ou d'autres facteurs comme une obésité qui augmentent la fatigue des muscles respiratoires, autant il est difficile d'établir formellement de manière prospective les critères devant lesquels une décision de reventilation est prise…

Chez un patient en détresse et qui ne peut plus assurer des échanges gazeux satisfaisants de manière autonome, avant l'intubation trachéale, une tentative de ventilation non-invasive par masque peut parfois être tentée, dans l'espoir d'un succès.  Ce mode de ventilation s'affranchit des contraintes de l'intubation et permet de ne délivrer qu'une assistance intermittente si nécessaire, en utilisant une large gamme de modes différents.  La ventilation non-invasive (VNI) autorise la déglutition, la nutrition entérale et respecte la parole.  Les gaz administrés sont physiologiquement réchauffés et humidifiés; cette VNI conserve les capacités de toux du patient, elle est d'un sevrage plus facile que la ventilation classique et enfin laisse à tout moment ouverte la possibilité d'une intubation endotrachéale.  La VNI nécessite cependant un plus haut niveau de surveillance des patients et une intensité thérapeutique plus grande que lors d'une ventilation conventionnelle.  Elle est contre-indiquée en cas de troubles sévères de la conscience ou chez un patient non-coopérant, en état hémodynamique instable, ou encore lorsque des sécrétions excessives des voies aériennes imposent un recours fréquent à l'aspiration intra-trachéale.  Enfin, pour certains, elle ne devrait pas être utilisée en cas de chirurgie abdominale haute récente. 

D'autres situations limitent l'utilisation de la VNI; elles sont similaires aux situations où une analgésie et une sédation doit être associée à la ventilation assistée après intubation.  Cette sédation peut s'avérer nécessaire du fait d'une ventilation rendue difficile par des contraintes pulmonaires graves, ou parce qu'une analgésie majeure est indispensable, ou enfin pour abaisser la demande métabolique en O2 et ainsi limiter les conséquences d'une insuffisance circulatoire associée. 

Dans tous les cas, des thérapeutiques complémentaires du support ventilatoire ne sont pas à négliger, comme l'humidification des gaz inspirés, la kinésithérapie respiratoire, les manœuvres de positionnement (qui peuvent inclure une mise en décubitus ventral), voire des adjuvants pharmacologiques comme l'administration de monoxyde d'azote inhalé (NO) ou d'almitrine. 

 

Les modalités d'assistance ventilatoire peuvent êtres schématisés en deux grands modes selon que l'on fait appel à un respirateur générateur de débit ou à un générateur de pression.  Dans le premier cas, le volume inspiratoire est produit indépendamment de l'augmentation de pression dans les voies aériennes.  Un tel mode en ‘volume controlé’ impose un monitorage des pressions d'insufflation afin d'éviter un risque de barotraumatisme.  Dans le cas d'un générateur de pression par contre, le volume inspiratoire est contrôlé lors de l'inspiration, ce qui maintient constante la pression dans les voies aériennes.  Dans le cas d'une ventilation en mode ‘pression contrôlée’, la variable indépendante (fixée par le praticien) est la pression, et la variable dépendante (résultant de la quantité de volume imposé et de la compliance effective thoraco-pulmonaire) est le volume.  Si, dans ce cas les risques de barotraumatisme sont moindres —la pression étant contrôlée (!)—, ce mode ventilatoire impose un monitorage précis des volumes insufflés.  En effet, en cas d'encombrement pulmonaire progressif augmentant les résistances dans les voies aériennes, le maintien d'un contrôle de la pression d'insufflation se fait aux dépens du volume insufflé qui risque alors de s'abaisser.  Dans les œdèmes pulmonaires lésionnels sévères avec effondrement de la compliance pulmonaire, le mode de ventilation en volume contrôlé à régulation de pression (VCRP, ou "autoflow") permet dans une certaine mesure de bénéficier des avantages des deux modes de ventilation. 

In fine, l'objectif de la ventilation assistée est d'obtenir les volumes courants, pressions d'insufflation de pic et de plateau dans les voies aériennes les plus faibles possibles, tout en maintenant un recrutement alvéolaire adéquat.  Il semble raisonnable de se fixer une limite acceptable de 35 cmH2O pour les pics de pressions inspiratoires, au besoin en ayant recours à une hypercapnie permissive.  Un tel mode de ventilation "non agressive" permet d'abaisser la surdistention alvéolaire en réduisant le volume courant administré, tandis que l'on prévient les séquences d'ouverture et de fermeture d'unités pulmonaires distales en maintenant un niveau de PEEP au-delà du point d'inflexion inférieur de la courbe de compliance pulmonaire.

 

En conclusion, l'établissement de critères objectifs de reventilation lors d'une détresse respiratoire post-opératoire reste difficile à formaliser et fait largement appel à l'expérience clinique du praticien. Une fois la décision prise, les modalités précises d'assistance ventilatoire de tels patients font largement appel aux considérations physio-pathologiques expliquant la nature du ou des mécanismes impliqués dans la détresse observée. Les "stratégies d'optimisation thérapeutiques" employées, tout en corrigeant l'hypoxémie doivent tendre à limiter les lésions pulmonaires iatrogéniques induites par des modes de ventilation "agressifs", au besoin en utilisant une ventilation non-invasive.